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L’idéologie
et le fonctionnement d’ATTAC Le
Cercle social a entamé l’étude critique d’ATTAC et
du néoréformisme par l’analyse du livre publié par
cette association sur les paradis fiscaux. Ce premier article analysait
la lutte contre les paradis fiscaux en termes de lutte des états
pour le contrôle de la masse fiscale globale, et la position néoréformiste
comme une idéologie liée au capitalisme d’économie
mixte, au renforcement du rôle de l’état dans l’économie.
Ce premier article insistait également sur le fait que la globalisation
s’appuyait en même temps sur la multiplication du nombre d’états
territoriaux et sur la mise en place d’un état mondial, sans qu’il
y ait contradiction entre les deux. Du même coup, la position d’ATTAC
apparaissait comme ambiguë, pouvant à la fois être interprétée
comme souverainiste ou au contraire liée à la mise en place
de cet état mondial. Mais la caractérisation restait floue,
et l’article péchait par son schématisme. Il apparaissait
nécessaire, pour approfondir cette question, de se pencher plus
en détail sur l’idéologie et le fonctionnement de l’Association
pour la taxation des transaction financières pour l’aide aux citoyens. La
nécessaire taxation des transactions financières D'un
programme d'abord limité à la propagande en faveur de la
« taxe Tobin », ATTAC a évolué, puisque son champ
d'investigation s'est considérablement diversifié, débordant
largement en dehors des strictes questions économiques. On ne peut
néanmoins entreprendre une critique d’ATTAC sans l’évoquer.
La taxe Tobin a pour objectif de limiter les transactions de devises très
rapides, à but purement spéculatif, facilitées par
les réseaux informatiques qui permettent des échanges d'une
place financière à l'autre en un temps record (1). La taxation
rend l'opération moins lucrative, donc décourage potentiellement
les spéculateurs. Après la crise asiatique, provoquée
par la spéculation sur les monnaies asiatiques, et les appels à
la stabilisation du système émanant de financiers réputés
comme Georges Soros, une telle taxation constituerait vraisemblablement
une bonne protection du système monétaire international et
limiterait les effets désastreux des krachs boursiers. Il s'agit
effectivement d'une réforme du système capitaliste, destinée
à le stabiliser et à lui permettre de durer. Il n'y a rien
de scandaleux pour la gauche mondiale de se poser en avant-garde de cette
réforme. Le seul scandale, ce serait d'essayer d'y voir quoi que
ce soit de révolutionnaire. La parabole du « grain de sable
», selon laquelle la taxe Tobin serait un grain de sable dans le
système bien huilé du capitalisme financier paraît
bien naïve. Cela
ne veut pas dire que la taxe Tobin va de soit et qu'elle va s'imposer naturellement,
sans heurt et sans remous. Elle trouve ses détracteurs naturels
dans les spéculateurs, les fonds de pension, les banques et places
boursières, les aventuriers de la finance, tous ceux qui espèrent
faire des profits faciles et immédiats sur les échanges de
devises. Or, ces adversaires ont la dent dure, car, précisément,
ils sont très riches. Avec cet argent, ils peuvent acheter plein
de choses utiles pour se défendre : des journaux, des politiciens,
des idéologues, des gouvernements. D'un autre côté,
il y a un certain nombre de partisans naturels ou potentiels, à
commencer par tous ceux qui ont fondé leur fortune sur le long terme,
les valeurs sûres, et surtout, ceux qui pourraient être amenés
un jour ou l'autre à gérer la manne financière de
la taxe, à y prélever la quote-part qui assurera leur train
de vie somptuaire : les politiques et les technocrates de tous poils. Pour
l'instant, l'opposition est encore forte, mais le lobby Tobin est puissant
et organisé au sein de la gauche mondiale, qui trouve là
le moyen de retrouver sa position idéologique de jadis, lors de
l'ère bénite du keynesianisme et de l'état providence.
On ne peut pas encore dire aujourd'hui si la taxe Tobin va, sous une forme
ou une autre, voir le jour, mais on peut lui accorder le bénéfice
du probable. Probable, parce que le capitalisme, même lorsqu'il se
veut libéral, ne s'est jamais laissé intimider longtemps
par les rodomontades de quelques spéculateurs qui, au nom des principes
du capital, mettaient en danger sa survie à long terme. Depuis que
le capitalisme existe, il a toujours confié à l'état
le rôle de stabilisateur du système. Il n'a aucune raison
de ne pas reproduire aujourd'hui à l'échelle mondiale ce
qu'il a fait jadis à l'échelle nationale. C'est d'ailleurs
exactement ce qu'il a fait depuis 1945, en multipliant les institutions
internationales destinées à stabiliser le système,
processus accéléré depuis une dizaine d'années,
c'est-à-dire depuis qu'il n'existe plus qu'un seul modèle
dominant de capitalisme. La
composition d'ATTAC et ses liens avec la gauche gouvernementale Quel
rôle peut jouer une association comme ATTAC dans ce processus ? Pour
l'expliquer, il faut d'abord mener la critique un peu plus loin, en expliquant
qui est réellement ATTAC. L'association revendique 27 000 adhérents.
S'il existe sans doute des analyses sociologiques pour mieux les cerner,
je n'ai pas pu m'en procurer et ne rentrerai donc pas dans cet aspect des
choses(2).
Le nombre d'adhérents ne nous dit pas le nombre réel de militants,
de personnes investies dans la vie de l'association. Au vu du nombre des
comités locaux, on peut présager que ce nombre est relativement
important. Les conférences et rencontres avec des auteurs amènent
un certain monde, c'est indéniable. Mais, il faut relativiser ce
nombre au regard de celui des adhérents des partis politiques de
gauche. C'est trois fois moins que le PCF encore aujourd'hui, et sans comparaison
possible avec ce qu'il a été jadis. Il faut remarquer la
difficulté du décompte des adhérents, en raison de
l'adhésion directe d'organisations, notamment syndicales. En toute
bonne logique, on devrait par exemple compter les syndiqués du SUD
- syndicat qui fait partie des fondateurs - comme membres d'ATTAC, ce qui
gonflerait immédiatement le score final. Les chiffres ne donnent
sans doute que le nombre d'adhérents directs à titre personnel.
Cela ne préjuge pas des adhésions multiples, un même
individu pouvant être militant d'un syndicat membre et adhérent
direct. Il existe donc surtout une galaxie ATTAC, fédérée
autour de noyaux d'organisation dans chaque localité. Quant au succès
d'ATTAC, il n'existe que relativement à la rapidité de croissance,
au sortir d'une longue période de morosité politique. A strictement
parler, ATTAC est donc une petite organisation à l'échelle
de la gauche, mais elle s'est remarquablement inscrite dans ses réseaux. Sur
le lien avec les partis politiques, il faut signaler une décision
du Conseil d'administration intitulée « ATTAC et le politique
» (3). Le texte précise : « Les adhésions
des structures politiques locales des partis ou des structures politiques
locales ne seront plus acceptées à compter du 10 juillet
2000. Celles d'entre elles qui ont déjà effectué cette
démarche ne sont pas concernées et restent adhérentes
de l'association ». Autrement dit, dans un certain nombre de
localités, des sections de partis politiques font partie d'ATTAC.
Quels partis ? Le texte ne le dit pas, mais on peut penser qu'il s'agit
des même qui fournissent des membres aux coordinations d'élus
locaux, c'est-à-dire le PS, le PCF et les Verts. Nombreux sont les
élus locaux qui ne dédaignent pas les réunions d'ATTAC
en cette période d'élections municipale. A Angoulême
(Charente), par exemple, le député PS, candidat à
la mairie, est également membre d'ATTAC et participe effectivement
aux réunions. Cherche-t-il à se réconcilier avec la
gauche associative locale, en froid avec le PS sur la question des sans-papiers
? On trouve aussi dans les textes d’ATTAC des illusions presque comiques
sur le rôle de la classe politique. Un exemple parmi d’autres, issu
d’un compte-rendu d’une réunion d’ATTAC - Paris XIIIe : «
Pour ce qui concerne les négociations de l'OMC, nos députés
sont comme nous : exclus du débat comme tous les citoyens, ils devraient
se sentir interpellés voire alarmés par l'absence totale
de démocratie dans le processus de négociation. »
Pauvres députés victimes de l’exclusion ! A
l'inverse, malgré son impact médiatique, ATTAC ne cherche
pas à créer des listes électorales, et recommande
à ses adhérents de ne pas se servir de leur appartenance
à l'association comme argument électoral. ATTAC se considère
en effet comme une association et non comme un parti politique, et surtout,
comme une forme de contre-pouvoir « citoyen ». Mais cette position
lui évite surtout de se poser en concurrente des partis politiques
de la gauche gouvernementale, ou de risquer d'opposer publiquement deux
candidats membres de l'association. Elle constitue à la fois une
force vive en relais de partis dont la capacité militante est moribonde,
et une forme de liant pour la gauche « plurielle ». Effectivement,
ATTAC est un conglomérat d'organisations, de collectivités
territoriales et d'adhérents directs.L'adhésion
des collectivités territoriales est sans doute l'un des aspects
les plus révélateurs – et les plus choquant – d'ATTAC. Qu'une
ville, un département ou même une région adhère
à une association dont l'objet est essentiellement politique ne
lasse pas de surprendre. La contribution d'ailleurs fort modique, puisque
le montant de l'adhésion s'élève à 1000 F pour
les collectivités. Mais de fait, elle rend chaque habitant de la
collectivité adhérent d'ATTAC, le plus souvent sans le savoir.
Ces collectivités sont le plus souvent socialistes (comme Villeneuve
d'Ascq, dans le Nord) ou communistes (comme la région Limousin),
ce qui en dit long sur le degré d'imbrication d'ATTAC avec les partis
de la gauche gouvernementale. Il serait intéressant de vérifier
en détail la politique de chacune des collectivités concernées.
On peut citer par exemple le cas de Parthenay (Deux-Sèvres), où
un conflit a opposé le maire socialiste et les « emplois-jeunes
» de la ville, auxquels était refusée une couverture
sociale complète. La politique municipale n'est pas toujours à
la hauteur des beaux idéaux d'ATTAC. Cette question de l’accord
entre la politique municipale et l’adhésion à ATTAC est un
sujet d’interrogation pour certains membres de l’association, si l’on en
croit les conclusions de l’université d’été 2000.
Mais à l’heure actuelle, il ne semble pas qu’une ville ait été
exclue pour sa politique antisociale. Quel
mal y a-t-il pour une organisation réformiste à être
liée à la gauche gouvernementale ? Bien évidemment,
l'objectif d'ATTAC est d'obtenir l'inscription dans la loi des mesures
économiques qu'elle préconise. Dans ces conditions, des relais
politiques et parlementaires lui sont indispensables. Mais il existe une
contradiction entre ce dévolu jeté sur la gauche et les objectifs
même d'ATTAC. Quel est le gouvernement qui participe à la
mise en place des organes internationaux de la globalisation capitaliste
? Quel est le gouvernement qui ouvre au capital privé les «
services publics » ? Quel est le gouvernement qui autorise les OGM
? C'est le gouvernement PS-PCF-PRG-MDC-Verts. Les mêmes partis qui
fournissent des membres au comité ATTAC de l'assemblée nationale,
qui fournissent des élus et des collectivités territoriales...
Même si on accepte ATTAC telle qu'elle est, c'est-à-dire réformiste,
on ne peut qu'être interloqué-e par la contradiction entre
ses objectifs officiels et la politique des partis politiques auxquels
elle est liée. ATTAC
est-elle chauvine ? On
vient de mentionner le MDC, puisque son n° 2, Georges Sarre, est effectivement
membre de la coordination des élus ATTAC à l'assemblée
nationale. Le Mouvement des Citoyens est un parti souverainiste, au discours
patriotique prononcé, lié par la personne de son chef Jean-Pierre
Chevènement au Baasisme syrien ou irakien, et qui oscille depuis
sa scission avec le PS entre rester dans le giron de la gauche ou former
un front souverainiste avec le RPF de Charles Pasqua. On peut sans hésitation
le qualifier de chauvin. C'est une épithète qui a souvent
été accolé à ATTAC, en raison de son anti-américanisme
et de son protectionnisme. La réalité est plus complexe. A
la marge d'ATTAC, on ne peut oublier de mentionner l'appel signé
par 476 parlementaires de différents pays européens, sur
l'initiative du socialiste Yann Gallut, en faveur de la taxe Tobin. Hasard
de l'ordre alphabétique, le deuxième nom dans la liste des
signataires se trouve être William Abitbol, ancien activiste d'extrême-droite
et aujourd'hui conseiller de Charles Pasqua. Signe des temps, il se trouve
ainsi au côtés d'Alain Krivine, dont la Ligue Communiste
fut jadis dissoute pour avoir empêché manu militari la
tenue d'un meeting d'Ordre Nouveau, dont William Abitbol était
membre... On ne saurait mieux illustrer le rapprochement entre «
nationalistes » de droite et de gauche autour de "l'antimondialisation". Pourtant,
ATTAC se défend vigoureusement de l'accusation de chauvinisme. Son
argument majeur est le caractère international de son action. En
effet, l'association a essaimé dans de nombreux pays et entretient
des liens étroits avec d'autres réseaux « anti-mondialisation
». Elle n'est pas à proprement parler anti-américaine,
puisqu'elle collabore avec des organisations et des syndicats américains,
et elle n'est pas non plus protectionniste au sens classique du terme.
Ces arguments sont également ceux qui ont été employés
par José Bové et la Confédération paysanne
(syndicat qui fait partie des fondateurs d'ATTAC). Pourtant, le discours
du syndicat agricole sur la souveraineté alimentaire, volontiers
repris par ATTAC, n'est pas exempt de protectionnisme. Et malgré
la mise au point de José Bové, l'anti-américanisme
a joué une part non-négligeable dans le succès de
l'opération de Millau. Ces
quelques exemples montrent, sans avoir besoin de les multiplier, que le
positionnement d'ATTAC n'est pas facile à caractériser. Mais
vouloir opposer souverainisme et internationalisme repose sur des conceptions
fausses de l'un et de l'autre. Le souverainisme n'est pas un nationalisme
agressif et raciste, mais une forme de "libération nationale" qui
considère la France comme une nation opprimée par l'impérialisme
US. Il s'appuie donc assez facilement sur un discours de gauche. L'internationalisme
n'a été conçu, au XXe siècle, que
comme une solidarité avec les peuples en lutte ou avec les luttes
qui se déroulent dans d'autres pays, et non comme une union mondiale
des luttes (ce que nous appelons mondialisme). Ces
différences de vision, masquées par une volonté unificatrice
qui évite de trancher sur le fond, reflètent une convergence
provisoire entre deux intérêts, face à un ennemi commun,
le capitalisme libéral des transnationales. D'un côté,
les petites et moyennes entreprises, les fonctionnaires et salariés
des entreprises publiques privatisables peuvent se sentir menacés
par la globalisation et la logique libérale. ATTAC peut constituer
pour eux une forme de manifestation de leur crainte, même si elle
s'exprime d'une manière confuse et qu'elle mélange les intérêts
des petits patrons et ceux de leurs salariés. Pour ceux-là,
le souverainisme et le protectionnisme peuvent apparaître comme des
solutions. Mais il ne semble pas qu’ils soient majoritaires dans ATTAC. De
l'autre côté, il y a le phénomène évoqué
plus haut : la taxation des transactions financières constitue l'un
des éléments possibles dans la mise en place de la "gouvernance
globale", c'est-à-dire de l'état mondial superposé
aux états nationaux. Or, pour cette autre tendance, ATTAC et le
mouvement antimondialisation constituent un levier puissant : ils doivent
exercer une pression sur les capitalistes privés en leur montrant
la fragilité du système. Surfer sur l'anticapitalisme est
donc une stratégie parfaitement adaptée, tant que cet anticapitalisme
se limite à mettre en avant l'inéluctabilité de la
gouvernance globale. Le souverainisme leur est profondément étranger.
Si le souverainisme et le nationalisme sont effectivement hostiles à
la "mondialisation", la tendance à la gouvernance globale constitue
au contraire l'aile la plus avancée de la globalisation. Dans
cette tendance, on peut par exemple ranger Jacques
Capdevielle, directeur de recherche au Centre d'étude
de la vie politique française, qui se fonde sur la pensée
d’Habermas pour développer une véritable stratégie
du dépassement de l’état-nation. Pour lui, celui-ci est passe
par la « prise de conscience d’une solidarité cosmopolitique
». Les partis politiques sont trop sclérosés pour en
prendre l’initiative.C’est donc
aux mouvements sociaux de porter cette idée : « Il
leur faut créer cet espace européen de façon programmatique,
en poursuivant un double but : créer une Europe sociale, et faire
en sorte qu’elle jette tout son poids dans la balance du cosmopolitisme »
(4). De même, dans un texte émaillé de réminiscences
marxistes-léninistes, Samin Amir propose d'œuvrer à «
la construction d’un monde pluricentrique non néo-impérialiste
». Il trace clairement le programme politique : «
Mais il y a aussi le besoin de définir les éléments
d’un internationalisme populaire capable de donner aux luttes sociales
une portée mondialiste, et par là de contribuer positivement
à l’élaboration d’une autre mondialisation que celle proposée
par le libéralisme. A la fois défendre l’autonomie des nations,
élargir l’espace de son déploiement, et éviter l’enfermement
dans les impasses du nationalisme chauvin définit le cadre des alternatives
à développer. Le niveau régional est sans doute ici
celui qui permet le moins difficilement cette construction nécessaire,
qu’il s’agisse du panafricanisme, de l’unité arabe, du front latino-américain
ou de la construction européenne en lui donnant un contenu social
progressiste et d’autres projets régionaux. Le
niveau mondial ne doit pas pour autant être négligé.
Les batailles sont ici à mener sur différents plans. Sur
celui de la politique l’objectif ne saurait être autre que le combat
contre l’hégémonisme américain et son arrogance militaire.
Dans cette perspective, une relance du rôle et des fonctions de l’ONU
pourrait constituer l’un des objectifs communs des luttes des forces politiques
démocratiques opérant à l’échelle mondiale
»(5). Respect
des états-nations, constructions de blocs continentaux, lutte contre
l’impérialisme américain, réforme des institutions
mondiales :voilà qui caractérise
assez bien l’orientation générale d’ATTAC et du néoréformisme
de la gauche mondiale. Dans cette perspective, on ne peut parlerde
mouvement anti-mondialisation, mais d’aile gauche de la globalisation. ATTAC
est donc à la confluence de deux tendances, et son apparente indécision
sur la question nationale est le produit de cette contradiction. Mais comme
on le verra plus loin, le fonctionnement figé de l'association empêche
cette contradiction d’apparaître de manière trop flagrante
pour l’instant. ATTAC
et le christianisme Parmi
les membres fondateurs d'ATTAC, on trouve des revues catholiques de gauche
: Témoignage Chrétien (dont le représentant,
Bernard Ginisty, est membre du conseil d'administration), Golias,
et des associations d'inspiration chrétienne comme Artisans du
monde ou Droit au logement. Ils voisinent avec plusieurs associations
laïques, et avec le courant laïque animé par Bruno Courcelle.
En cela, ATTAC n 'est pas sans rappeler l'ancien Parti Socialiste Unifié,
qui présentait cette même particularité de faire cohabiter
chrétiens et anticléricaux. Il faut ajouter que certaines
personnalités connues d'ATTAC ont une formation chrétienne,
comme son vice-président François Dufour (issu de la Jeunesse
Agricole Chrétienne) et même son symbole le plus médiatique,
José Bové, qui ne cache pas son attachement à la pensée
de l'anarchiste chrétien Jacques Ellul. Témoignage
Chrétien
est un monument historique de la gauche chrétienne, puisqu'elle
puise ses racines dans la Résistance. Pendant longtemps, elle fut
la voix officielle des catholiques de gauche. Golias, pour sa part,
est née plus récemment, autour du théologien Christian
Terras. Apparemment progressiste, très engagée contre les
sectes et l'extrême-droite, elle représente surtout une version
réactualisée d'un gallicanisme violemment opposé au
Pape et à la hiérarchie, prônant un renforcement du
pouvoir des paroisses et le mariage des prêtres, et plutôt
hostile à l'œcuménisme. Mais
au-delà, le message d'ATTAC porte ses fruits au sein de l'église
catholique. Qu'on en juge par cet extrait issu du site Internet Catholink
: "Surprise
au Grand Conseil genevois, début septembre : une proposition de
motion était lancée par plusieurs députés "sur
la taxation des transactions financières". [...] Une idée
qui avance aussi au sein des Églises : la Commission Tiers Monde
de l'Église catholique (COTMEC) à Genève a en effet
proposé que les revendications à la base de la Taxe Tobin
soient appuyées par les Églises dans le cadre de la Consultation
œcuménique sur l'avenir social et économique de la Suisse" (6). Ce
n'est pas un cas isolé. Il faut rappeler le rapprochement entre
la revendication d'ATTAC en faveur de l'annulation de la dette des pays
du tiers-monde et la campagne « Jubilé 2000 » pour l'annulation
de la dette des pays les plus pauvres, lancée directement par le
Vatican et relayée par toutes les églises du monde. Dans
les documents d’ATTAC, les références à la campagne
Jubilé 2000 sont fréquentes, sans susciter de questions particulières.
Il faut aussi remarquer que pas moins de vingt-quatre millions de signatures
ont été recueillies sur la proposition d’annulation de la
dette, sans susciter de réaction particulière de la part
des institutions internationales. Sans doute l’église catholique,
apostolique et romaine n’est-elle pas considérée comme une
agitatrice trop dangereuse… L'un de succès les plus paradoxaux de
cette campagne, c'est d'avoir réussi à faire inscrire cette
revendication au programme de la marche mondiale des femmes et surtout
d'avoir fait mentionner expressément l'intitulé Jubilé
2000 dans l'appel. L'église catholique au secours des droits des
femmes...Ce pauvre Paul de Tarse
ne doit pas jubiler ! La
présence de chrétiens dans ATTAC ne peut pas être interprétée
comme l'acte d'une poignée de croyants isolés et rejetés
par leur hiérarchie – comme ce fut souvent le cas dans l'après-guerre
– mais comme l'un des nombreux signes du rôle mondial aujourd'hui
joué par l'Église catholique dans le monde, celui d'une nouvelle
forme de social-démocratie, d'une puissante force réformiste.
Cela ne signifie pas, loin de là, qu'il n'existe plus de tendance
réactionnaire dans l’Église, mais il existe de manière
généralisée un rapprochement entre social-démocratie
et église Catholique. Le travail du Vatican en direction du tiers-monde,
son spectaculaire rapprochement avec Cuba contre les USA, ses prises de
position en faveur de la paix et son travail de diplomatie (notamment via
la communauté San’Egidio) montrent à quel point cette convergence
n'est pas fortuite. Le précédent président de l'Internationale
socialiste, le français Pierre Mauroy, était discrètement
catholique. Son successeur, le portugais António Guterres l'est
ouvertement, et certains n'hésitent pas à lui prêter
une proximité avec l'Opus Dei. Le
fonctionnement antidémocratique d'ATTAC Le
fonctionnement d'ATTAC repose sur un conseil de trente administrateurs,
élus pour trois ans et rééligibles. Parmi ces 30 personnes,
12 seulement sont élues par l'assemblée générale
des adhérents directs et 18 sont choisies parmi le Collège
des fondateurs. Ce dernier est constitué de représentants
des organisations syndicales et associations ayant participé à
la création d'ATTAC, ainsi que de personnes cooptées (7). A
chaque réunion du conseil d'administration, une équipe dirigeante
cooptée détient donc 60 % des voix. Autrement dit, même
si une majorité d'adhérents souhaitait infléchir la
ligne d'ATTAC dans un sens ou dans un autre, elle ne pourrait le faire
statutairement sans se heurter à ce « sénat »
chargé de veiller au maintien de l'association dans ses rails initiaux.
Un tel fonctionnement est en totale contradiction avec le discours démocratique
officiellement affiché. ATTAC se présente volontiers comme
un mouvement d'éducation populaire, mais elle ne développe
visiblement pas l'esprit critique de ses adhérents. Pourquoi
une telle disposition ? Officiellement, pour préserver la pluralité,
c'est-à-dire éviter que l'une des composantes ne prenne le
pas sur les autres : la confiance règne entre les fondateurs ! On
peut également supposer d'autres intentions moins avouables. Se
réserver le leadership intellectuel sur le mouvement, dans un système
curieusement inspiré de la cooptation et des collèges universitaires
? C’est possible, car en dehors même de toute critique, le mouvement
peut générer une dynamique interne, fondée sur le
travail des militants les plus actifs, qui pourraient souhaiter prendre
part dans les décisions concernant les associations. Décalque
des bureaucraties politiques et syndicales ? Également possible.
Les hommes et les femmes d'appareil ne sont pas nécessairement disposés,
ni même simplement habitués à voir les militants intervenir
dans la direction des affaires. Demander à des dirigeants syndicaux
ou associatifs, et pire encore à des militants socialistes ou communistes
d'avoir une culture de la démocratie serait une aimable naïveté.
Éviter une infiltration, notamment par les gauchistes ? Probable.
Des expériences répétées, notamment SOS
racisme et Ras L'Front pour ne citer que les plus récentes,
ont montré la redoutable capacité des trotskistes à
prendre place dans les réseaux associatifs mis en place par la gauche
social-démocrate. A
titre d'hypothèse, on peut réfléchir sur la campagne
quasi-calomnieuse à l'encontre du député européen
Alain Krivine, porte-parole de la LCR. Son abstention dans un vote sur
un budget d'étude de faisabilité de la taxe Tobin au parlement
européen a été montée en épingle par
la presse de gauche. Elle constitue un grief courant et un axe de cristallisation
de la méfiance à l'encontre des militants de la LCR. Or,
le député, qui s'est expliqué de cette abstention,
n'a pas ménagé ses efforts en faveur d'ATTAC, dont il a constitué
le comité au parlement européen. Mais les dirigeants du mouvement,
et plus encore leurs amis de la gauche gouvernementale, n'ont probablement
pas l'intention de couver les œufs du coucou trotskiste. On peut certainement
en dire autant de la méfiance éprouvée à l'égard
du groupe activiste Socialisme par en bas, qui ne ménage
pourtant pas ses efforts pour se grimer en loyales jeunesses d'ATTAC(8).
Cette méfiance anti-gauchiste est-elle exclusive des autres explications
? Probablement non. Est-ce une excuse valable pour un fonctionnement antidémocratique
? Qu’on se rassure. C’est la même association qui écrit :
« Cela concerne tous
les citoyens. L’habitude prise de négocier entre chefs et experts
nous paraît être une perversion de l’idée de démocratie.
C’est devenu une tradition de transformer le citoyen de base en spectateur
passif de décisions qui se prennent sans lui et hors de lui. Il
est clair que cette tradition relève d’un autoritarisme qui contredit
toutes les évolutions historiques de participation citoyenne à
la vie politique. »
(courriel d'information n° 168 - 15 septembre 2000). La participation
citoyenne, est-ce transformer un adhérent de base en spectateur
passif de décisions qui se prennent sans lui et hors de lui ? Si
on avait le moindre doute sur la réalité d’ATTAC, voici un
morceau de bravoure extrait de La
lettre d’ATTAC 45 (Numéro
2, 1er mars 2000) : «
Les orientations nationales d’ATTAC : le 19 février dernier, la
réunion des comités locaux à Saint-Denis a été
l'occasion de fêter les 20 000 adhérents d'Attac. Deux fois
plus que l'année dernière. Beaucoup d'adhésions sont
arrivées après Seattle. Aujourd'hui, Attac est consulté
régulièrement par le Ministère des Finances et
d'autres institutions gouvernementales. Devant un tel succès, le
conseil d'administration d'Attac national a dû revoir son organisation.
Le local trop étroit (un petit F2 parisien) ne sont plus adaptés,
un déménagement est prévu dans les mois qui viennent.
La gestion des adhésions a été confiée à
une société privée basée en Picardie qui
travaille déjà pour Greenpeace, la fondation Abbé
Pierre, Témoignages Chrétien, Libération, etc... Elle
garantit la confidentialité du fichier et surtout un envoi régulier
aux comités locaux des listings remis à jour. Cette sous-traitance
permettra au siège d’Attac de consacrer plus de temps à l'une
de ses priorités pour l'année en cours : la communication.
» Autrement
dit, ATTAC est un brain-trust qui travaille pour le ministère des
Finances, et qui, tout en dénonçant la logique néolibérale
du tout-privé et de l’externalisation, se décharge de sa
propre gestion associative au profit d’une entreprise privée ! Adhérents
d’ATTAC, pour qui vous prend-on ? Conclusion Certains
points abordés dans l’article, comme le lien entre Église
catholique et Social-démocratie, la mise en place d’un État
mondial ou même simplement l’analyse mondialiste-révolutionnaire
de l’État mériteraient d’être développés
plus complètement, pour éviter une analyse trop schématique.
Néanmoins, au terme de ce second volet de l’étude sur ATTAC,
plusieurs contradictions apparaissent au sein de l’association : ·La
participation de la gauche gouvernementale entre en conflit avec les positions
prônéespar ATTAC. ·L’adhésion
de collectivités territoriales dont la politique peut aller à
l’encontre de ces mêmes positions du mouvement. ·Le
souverainisme contre l’idée de « gouvernance mondiale ». ·L’idéal
démocratique des adhérent-e-s contre le fonctionnement figé
et contrôlé depuis l’extérieur de l’association. ·Confrontation
entre les sociaux-démocrates et les différents courants trotskistes
présents au sein d’ATTAC. Nicolas (08/02/01) (1)
Une bonne explication de ce phénomène dans la brochure «
La sphère de circulation du capital », Échanges, 2001. (2)
Une thèse de sociologie, rédigée par un adhérent
d’ATTAC, est en cours sur ce sujet. (3)
« ATTAC et le politique », disponible sur le site Internet
www.attac.org. (4)
Jacques Capdevielle, « Après l’état-nation, Portée
et limites de l’apport habermassien pour penser la crise actuelle des modes
de légitimation politique », www.attac.org. (5)
Samin Amir, « L’autre Davos », www.attac.org. (15 janvier 1999) (6)
Source : Catholink (7)
Pour le fonctionnement et les statuts d'ATTAC, voir Tout sur ATTAC,
Mille et un nuits, 2000. (8)
C'est l'objectif avoué de la nouvelle ligne politique de Socialisme
par en bas, symbolisée par le changement de nom de leur journal,
désormais nommé "L'Étincelle". |