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Les frontières de classes d’une classe sans frontières Prolétaires
du monde entier, descendez dans vos propres profondeurs, cherchez-y la vérité
et créez-la : vous ne la trouverez nulle autre part. Archinov
[Ce
texte fait partie d’un débat au sein du Réseau de discussion internationale, auquel
participe le Cercle social. Pour situer le point de départ de la discussion,
il faut savoir que certains camarades, issus du Courant Communiste
Internationaliste, font un bilan critique de la notion de décadence du
capitalisme, et mesurent ses implications] Le
débat entre Max et les camarades de PI revêt une certaine importance pour les
problématiques du réseau. A vrai dire, dans la mesure où la « décadence
du capitalisme » est pour moi une problématique sans objet réel (« je
n’ai pas besoin de cette hypothèse », disait comme dirait Laplace),
je pourrais éviter soigneusement de m’en mêler. Mais puisque justement la
question a été posée de savoir comment on pouvait se référer aux
« frontières de classe » : antiparlementarisme,
antinationalisme, antisyndicalisme (auxquelles il conviendrait d’ailleurs de
rajouter l’anticléricalisme) sans se référer à la théorie de la
« décadence », je vais essayer de suggérer quelques pistes. Elles
s’appuient largement sur l’histoire du mouvement ouvrier, et sur l’idée
centrale d’autonomie de classe. a)
L’antiparlementarisme Dans l’histoire du communisme des
conseils, tout aussi bien que dans celle de la fraction abstentionniste
italienne, l’antiparlementarisme s’appuie initialement sur le constat d’une
situation historique dans laquelle les élections constituent un recul par
rapport à l’expérience des masses. Dans la situation révolutionnaire
allemande ou italienne, alors que les ouvriers sont armés et capables
d’imposer leur pouvoir, attendre l’action des parlementaires communistes est
en retard sur la réalité. Quand au rôle de tribune joué par le parlement,
invoqué par Lénine, il n’a pas de sens lorsque les ouvriers sont massivement
investis dans les conseils, dans les organisations politiques ou, tout
simplement, dans la pratique révolutionnaire. Mais cet antiparlementarisme
est circonstancié : le KAPD, par exemple, ne reproche nullement aux
sociaux-démocrates russes leur parlementarisme, mais explique qu’il n’est pas
adapté à la situation allemande. C’est n’est que plus tard, avec la critique
globale du léninisme et du bureaucratisme, que l’antiparlementarisme va
devenir un point de référence obligé – quand il aura été reconnue la
filiation entre bolchevisme et social-démocratie, après que les illusions sur
ses liens avec l’anarchisme aient été dissipées. Le KAPD – et plus encore la
fraction de Rühle, naissent d’une contestation non seulement de la politique
du SPD, mais aussi et peut être surtout de son organisation bureaucratique,
entièrement ordonnée par la pratique électorale. Les kapistes veulent agir
par eux-mêmes, se méfient des chefs et refusent d’attendre. Quelle est leur
composition sociale ? Apparemment, pour une large partie, des chômeurs,
des jeunes ouvriers, des travailleurs précaires. La même que les Woblies
américains, et que les différents groupes dans lesquels militera Paul Mattick
aux USA. Au contraire, le SPD assure la domination des ouvriers les plus
qualifiés. Pour autant que je puisse en juger – en l’absence de données
suffisamment précises – la composition de la gauche communiste de France dans
les années 30 est, alors que les Trotskistes sont, à la même époque sont plus
« classes moyennes », sont plus rarement des immigrés... et sont
plus favorable au parlementarisme. Est-ce à dire que l’attitude vis-à-vis du
parlementarisme est une question de « composition de classe ». Sans
doute en partie, peut-être parce que le parlementarisme - difficile à
dissocier du réformisme - exprime bien le sentiment d’une fraction de classe
pour laquelle les choses ne vont pas si mal et surtout, qui espère des
améliorations sinon pour elle, en tout cas une certaine ascension sociale
pour ses enfants. Chose qui paraît inaccessible aux chômeurs et précaires. Est-ce seulement une position
théorique, déduite d’une rigoureuse théorie de l’état ? On peut se poser la
question, étant donné l’attitude de la classe ouvrière et la place des
« gauches » en son sein. La critique ouvrière du parlementarisme
est née de l’expérience des travailleurs, bien avant 1917. Une caricature de
la fin du XIXe siècle montrait Millerand et le chef de la
police : « Alors, avez-vous réunies les preuves de ce
complot ? Oui, on a trouvé chez les conjurés tous vos anciens
discours ». Les ouvriers savaient bien que leurs « chefs »
pouvaient changer de camp, et que les partis étaient avant tout des comités
électoraux qui servaient à offrir des places à 25 Francs.
L’antiparlementarisme anarchiste naît de ce constat, peut-être plus que des
théories anarchistes elles-mêmes – même si les débats des années 1870
contribuent à clarifier la question du rapport du parti ouvrier à l’Etat, et
il est revendiqué par les marxistes révolutionnaires dès cette époque. Ainsi,
Sorel, dans ses Réflexions sur la violence, montre clairement,
parallèlement à Makhaïski, pourquoi électoralisme et « socialisme des
intellectuels » sont entièrement liés : le parlementarisme laisse
libre cours aux capacités rhétoriques de cette classe « d’intellectuels
qui ont embrassé la profession de penser pour le prolétariat ». Le
syndicalisme révolutionnaire de Sorel se présente clairement comme une
réaction au parlementarisme : « L’expérience n’a pas tardé à
montrer que les anarchistes avaient raison de ce point de vue, et qu’en
entrant dans les institutions bourgeoises, les révolutionnaires se
transformaient, en prenant l’esprit de ces institutions ; tous les
députés disent que rien ne ressemble tant à un représentant de la bourgeoisie
qu’un représentant du prolétariat ». Que reste-t-il aujourd’hui de
tout cela ? Gorter, dans sa Lettre à Lénine, expliquait que la
participation aux élections est une question de circonstances. Nous ne sommes
pas, aujourd’hui en France, dans une situation clairement prérévolutionnaire
– si jamais il existe des critères pour ces choses-là. Mais par contre, il
existe un abstentionnisme ouvrier très fort – qui devrait se confirmer après
l’effondrement du premier parti ouvrier du point de vue électoral, le Front
National. L’électorat d’Arlette Laguiller est assez fort dans certains
secteurs ouvriers délaissés par le PCF (jusqu’à 20 % dans certaines communes
villes du Pas-de-Calais), mais il arrive loin derrière l’abstention (70 %
dans les quartiers ouvriers). A partir du moment où la classe ouvrière a
compris d’elle-même que les élections ne pouvaient pas amener de changement –
expérience de 1981 à l’appui – la question du parlementarisme « tactique »
est enterrée. Il en va de même aux USA, avec un abstentionnisme absolument
massif. Il ne faudrait pas, dans ces conditions, faire comme les
« municipalistes libertaires » qui confondent abstentionnisme avec
dépolitisation et se mettent soudain à trouver du charme aux élections. Bien
au contraire, l’abstentionnisme massif peut être considéré comme un
détachement vis-à-vis des « partis ouvriers », donc une forme de
maturité politique. Il faut également parler de la
question du financement des partis politiques, tel qu’il se pratique
généralement en Europe. Un parti comme Lutte ouvrière touche
plusieurs centaine de milliers d’Euros pour sa présence au parlement européen
et dans diverses instances électives. Quoiqu’il pratique une
non-collaboration systématique et dénonce par l’exemple l’absentéisme
parlementaire, ce financement – qui est ni plus néanmoins un investissement
capitaliste dans le parti « ouvrier » porte doucement ses fruits,
obligeant LO à se maintenir sur une ligne de plus en plus électoraliste, avec
les sinistro-comiques candidatures aux sénatoriales (qui ont provoquée le
départ d’un fondateur, membre du BP, désespéré par cette ligne opportuniste).
Désormais, l’intégration à l’Etat n’est plus assurée seulement par
l’intégration culturelle et sociale dans les réseaux de la bourgeoisie, mais
sous la forme d’une marchandisation directe. . Est-ce à dire qu’il faudrait
participer aux élections dans un pays où l’électoralisme ouvrier serait
massif et ou les partis seraient indépendants de l’état ? Je n’en suis pas
sûr. Dans une situation de relative « paix sociale », les
pro-révolutionnaires n’ont pas d’avenir électoral. Dans une situation de
guerre sociale ouverte ou larvée, ils n’ont pas besoin de présence électorale
pour agir. D’autre part, pour poser la question telle qu’elle ressort du
débat sur la décadence, est-ce qu’aucune réforme durable n’a pas surgir des
élections ? Oui et non. En 1936, il y a des élections, mais aussi une
grève générale. En 1945, il y a des élections, mais aussi une insurrection ouvrière
à Paris et des milliers de prolétaires qui savent se servir d’un fusil, que
le PCF peine à désarmer et à remettre au turbin. Donc, quand bien même il y a
des réformes possibles, elles ne surgissent pas de la bonne volonté des
députés, mais de la lutte de classe. Restons sur notre terrain… b)
L’antisyndicalisme Comme je viens d’écrire « Some
(boring) remarks on Unions » en langue anglaise, je renvoie
directement à ce texte, et j’autorise camarades non-anglophones à pester
contre moi pour cet acte de paresse. La question du syndicalisme est
entièrement liée à celle de l’état, dans la mesure où les centrales
classiques sont entièrement imbriquées dans l’Etat, que se soit en France
(gestion de la Sécu, prud’hommes, subventions, etc.), aux USA (liens directs
avec les partis politiques et adoption du « modèle américain ») ou
en Chine (intégration directe à l’état), et au niveau mondial, ils sont
souvent imbriqués à l’état américain (via les subventions plus ou moins
discrètes, qui sont un investissement très productifs) et impliqués dans la
gouvernance mondiale (notamment via le Bureau International du Travail,
qui n’est rien d’autre que le ministère du travail de l’Etat mondial). C’est
ce qui différencie le plus concrètement l’anarcho-syndicalisme actuel du
syndicalisme, en raison du refus systématique de participer à la gestion du
capital, aux élections professionnelles et de recevoir des subventions. Il
faut également signaler le rôle non-négligeable des syndicats d’inspiration
chrétienne, dont la force dans le monde n’est négligeable – y compris la
CFDT. Qui est syndiqué en France
aujourd’hui ? Pour l’essentiel, les fonctionnaires et assimilés – donc
la fraction de la classe la moins inquiète sur son avenir, mais du coup la
plus sensible à maintenir à l’identique son niveau de vie et ses aspirations
pour sa progéniture – et les ouvriers industriels, avec de très fortes
variations selon les situations, qui conservent une forte tradition
syndicale, bien malmenée par les licenciements. Qui n’est pas ou peu
syndiqué ? Les chômeurs, les précaires, les travailleurs immigrés, le
nouveau prolétariat des services : centres de phoning,
restauration rapide, nettoyage, etc… Encore sont-ils contraints de la faire
dès qu’ils entrent en lutte (exemple actuel de la grève McDo à Paris, où la
CGT tente de faire son trou), tout simplement parce qu’il n’existe aucun
cadre de négociation en dehors des syndicats. Le syndicat entre en jeu et
ramasse la mise à la fin du conflit, parce que ce sont les capitalistes qui
distribuent les cartes… Je cite un exemple merveilleux de clarté, qui vient
de m’être raconté par un ouvrier en bâtiment : comme il fallait un
syndiqué pour signer l’accord sur les trente-cinq heures, la direction lui a
suggéré d’adhérer à Force Ouvrière, parce qu’il y avait des amis… On
ne s’étonnera guerre que le nombre de syndiqués baisse, le nombre de
syndicats augmente (UNSA, SUD, CNT, FSU, etc.), ce qui implique une
fragmentation accrue : c’et la conséquence directe de la recomposition
de classe, qui continue d’évoluer : après la liquidation des
« forteresses ouvrières », c’est aujourd’hui des usines de 100 à
200 ouvriers – assez grandes pour avoir une certaine expérience des luttes –
qui ferment le plus souvent. Bref, à l’heure actuelle en France, la question
de l’antisyndicalisme se pose plutôt sous l’angle du non-syndicalisme, et
l’analyse de la composition de classe incite à penser que c’est une réalité
fondée socialement. Autrement dit, c’est de cette analyse que nous devons
partir pour réfléchir sur la question de « l’intervention », comme
l’ont fait les camarades de Kolinko en Allemagne (call centers),
ou ceux de Kammunist Kranti à Faridabbad (ouvriers du
textile). Dans le texte précédent (some
boring remarks ...), j’ai proposé en conclusion : pas de critique
du syndicalisme sans critique du travail. Si le syndicalisme exprime, comme
le suggère Théorie Communiste, le travail en tant que pôle du
capital, il ne peut avoir vocation a sortir du capital. Mais la classe
ouvrière vit une contradiction essentielle, qui existe souvent au sein de
chaque travailleur, entre l’affirmation du travail, du savoir-faire – donc la
volonté de la gérer pleinement – et le refus du travail – l’envie de ne plus
être travailleur, d’échapper à ce monde absurde des « rapports de production ».
Le capitalisme peut utiliser, sciemment ou non, les capacités inexploitées,
le savoir-faire et l’énergie des travailleurs (maoïsme, toyotisme) tout comme
il peut la réduire au néant (taylorisme, fordisme) selon les besoins de
chaque secteur. Par contre, il ne peut rien faire du refus, de la mauvaise
volonté, de la paresse délibérée. C’est pourquoi ce second pôle dans la
contradiction ouvrière est le seul susceptible de rompre totalement avec le
capitalisme, comme l’ont montré les révolutions russes, espagnoles et
chinoises, où le maintien et même le renforcement des rapports de production
existants, de la relation au travail, est le fondement de la politique
antiouvrière menée par les différents Etats
« révolutionnaires » : militarisation de la classe ouvrière,
intégration des syndicats, réorganisation de la production au nom de la lutte
contre la contre-révolution… c)
L’antinationalisme L’antinationalisme a une histoire
complexe. Oserais-je rappeler que nos braves jacobins, ancêtres des
Bolcheviks comme chacun sait, ont affiché un nationalisme outrancier ;
que celui qui deviendra l’inspirateur essentiel du mouvement ouvrier anglais
naissant, Tom Paine, fut destitué de sa charge de député à la
Convention parce qu’il était « étranger »; que le plus
farouche des internationalistes, Anacharsis Klootz, fut guillotiné pour la
même raison… Au XIXe siècle, l’internationalisme communiste
repose, hors de toute théorie, sur le fait que les groupes qui l’élaborent
sont formés d’émigrés et d’exilés. Révolutionnaires allemands, polonais,
italiens, russes ou français se retrouvent à Londres ou à Bruxelles. Plus
largement, la classe ouvrière est d’autant plus mouvante que le Limousin à
Paris est tout autant, sinon plus, immigré que l’Italien à Marseille. L’état
ne s’est pas encore donné les moyens de contrôler idéologiquement cette masse
– seule l’école publique lui permettra – et elle échappe encore largement à
l’église, qui attendra longtemps pour comprendre comment évangéliser en
milieu ouvrier. La classe ouvrière se contrefiche d’une patrie qui n’a de
toute façon rien à lui offrir. Pourtant, les courants
nationalistes existent dans le mouvement ouvrier, reprenant de la révolution
française ce qu’elle avait de pire, le nationalisme jacobin. La filiation
buanarottiste, robespierriste, laisse des traces durables, et va imprégner
complètement le socialisme français, même quand il sera officiellement
marxiste, un marxisme purement formel, comme l’a bien montré Dommanget dans
« L’introduction du marxisme en France ». Après le ralliement à
l’union sacrée, non seulement des patriotards, mais aussi d’antinationalistes
aussi connus qu’Hervé ou Grave, puis la création du PCF-SFIC par ces mêmes
patriotards (Cachin et compagnie) avec la bénédiction du Komintern,
l’internationalisme n’est plus qu’un pieux mensonge. Là encore, il est
intéressant de constater que la forte proportion d’immigrés parmi les
« gauches » et les anarchistes insurrectionnalistes (cénétistes
espagnols, makhnovistes russes, etc.) est favorable au maintien de
l’internationalisme. La situation va se compliquer
après la seconde guerre mondiale, avec les guerres de « libération
nationale ». Jusqu’ici, tout le monde, communistes de conseil compris,
soutenait la lutte contre le colonialisme et ne voyait pas d’objection
majeure à l’idée de « libération nationale », dans la mesure où
celle-ci était identifiée à la révolution « démocratique
bourgeoise », étape nécessaire. La question tournait surtout autour de
la manière de mener ces luttes et notamment de la place que la classe
ouvrière devait y tenir. Sur ce point, les souvenirs de Ngo Van sont
particulièrement enrichissantes, pour expliquer la situation vietnamienne (Au
pays de la cloche fêlée). D’un autre côté, dans les colonies françaises,
Vietnam excepté, les efforts pour entrer en contact avec les
« colonisés » sont inexistants. Qui peut citer une publication
révolutionnaire traduite d’une langue occidentale vers l’Arabe, le Lingala ou
le Swahili ? Les luttes de libération
nationale vont donc être riches d’enseignement, parce qu’elles vont éclairer
rétrospectivement la nature du léninisme. Des leaders nationalistes
« garibaldiens » comme Castro, des libéraux comme Lumumba ou
Nkrumah vont se révéler soudain « marxistes-léninistes ».
Attraction de Moscou ? Oui, bien sûr, de l’argent et des armes valent
bien une conversion. Mais le léninisme correspond remarquablement à la
situation de ces pays, et à la position de classe de ces leaders : une
petite-bourgeoisie progressiste et patriote, qui souhaite faire de leur
contrée colonisée un grand état moderne, c’est-à-dire industriel. La théorie
de l’impérialisme leur fournit une analyse de leur situation coloniale et
pose les bases d’un bloc de classes bourgeoisie nationaliste - paysannerie -
ouvriers. Le modèle du parti disciplinaire tourné vers l’insurrection leur
convient également, car il est facilement adaptable aux besoins de la lutte
armée. L’idée selon laquelle l’Etat doit être renforcé pour mener
l’industrialisation et la taylorisation – assimilées au socialisme – est
parfaitement conforme aux désirs de la future bureaucratie, et de toute façon
adaptée aux besoins d’un Etat qui doit se substituer par un volontarisme à
tout crins à une bourgeoisie locale trop faible pour développer les forces productives.
Enfin, le fait que dans la théorie léniniste, ce sont les intellectuels
petits-bourgeois qui apportent la conscience de classe aux ouvriers est
presque trop belle pour lesdits intellectuels petits-bourgeois, les Castro,
Guevara, Lumumba…et surtout pour la classe qui va fournir leur premiers
partisans (les « évolués » pour Lumuba, par exemple). Est-il possible de mener une
lutte anticoloniale, sur des bases ouvrières, sans nationalisme et sans
étatisme ? Certains communistes libertaires semblent le supposer, tout
en arguant qu’il s’agit naturellement d’une « étape », voire d’un
mouvement qui connaîtra naturellement une transcroissance socialiste.
L’expérience tout autant que l’analyse théorique de la bureaucratie et de la
nature de l’état, laissent sceptiques sur cette hypothèse. La question se
pose aujourd’hui différemment. Est-ce que la situation doit encore se
penser au niveau national, existe-t-il encore des pays dans lesquels la
composition de classes exige une révolution « démocratique bourgeoise »,
comme le suggère nos camarades de RGF ? Ou est-ce que, dans le cadre
d’un « capitalisme global », postimpérialiste, la question se
poserait-elle directement au niveau mondial, transformant toute lutte de
libération nationale en mouvement purement réactionnaire (au sens de
nostalgie d’un état antérieur du capitalisme, voir précapitaliste) – ce
qui serait plutôt mon hypothèse, et apparemment celle d’une partie du
CDP ? C’est une questions sérieuse, sur laquelle nous allons devoir
discuter plus précisément. Cela rejoint directement la question de
l’impérialisme, discutée en langue anglaise au sein du réseau, et celle de
l’appréciation du capitalisme actuel. d) Quelques
hypothèses Je ne vais pas rentrer ici dans
la critique de l’idée de décadence, je pointe juste les problèmes que cette
théorie me pose. J’avoue avoir beaucoup aimé le texte de Wildcat «
Bosses have no country », qui suggérait que cette théorie servait avant
tout à adopter des positions de classe tout en protégeant ce pauvre Marx de
ne pas les avoir soutenu. Certes, il était parlementariste, pro-syndicaliste
et pro-nationaliste, mais le capitalisme était encore flambant neuf, il avait
tout à offrir aux ouvriers, donc il avait raison. Et en 1914, patatra,
le capitalisme prend un coup de vieux, et les anarchistes ont soudain raison
sur toute la ligne, sauf de ne pas être marxistes…. J’exagère un peu, mais
vous pouvez lire bien plus caricatural tous les mois dans l’organe central du
Courant Catastrophiste International. J’ai laissé, volontairement, de
nombreuse pistes ouvertes. A la veille d’un débat, il vaut mieux poser des
questions que de donner des réponses prématurées. Plusieurs points me
paraissent cependant importants : a) Les « frontières de
classe » sont issues de l’expérience du mouvement ouvrier.
L’antiparlementarisme, parce que l’intégration à l’état et à la gestion du
capital n’a jamais servi réellement, sauf de manière formelle, puisque la
réalité de la lutte de classes est ailleurs. L’antisyndicalisme, parce que le
syndicalisme ne peut-être que la représentation du travail en temps que pôle
du capital. L’antinationalisme, parce que les luttes de libération nationale
n’ont d’utilité que pour réaliser les rêves de la petite-bourgeoisie
nationaliste. Dans la pratique, la majorité des travailleurs, et parmi eux
les plus précaires, les moins « intégrés », n’ont rien à
foutre de tout cela, parlement, syndicat et nation. b) Il n’est donc pas absolument
nécessaire de faire intervenir la théorie de la décadence pour délimiter les
« frontières de classe », que l’on adopte par ailleurs cette
théorie ou non. c) L’analyse de la composition de
classe, au niveau global, régional aussi bien qu’au niveau des luttes ou des
groupes, est essentielle pour avoir une compréhension correcte de la situation.
Il nous faut surtout admettre que nous n’avons pas vocation à représenter
toute la classe, mais à exprimer une position au sein de celles-ci. Si le
syndicalisme – et les partis « ouvriers » – représentent le travail
comme pôle du capital, attachons surtout à développer l’autre pôle de la
contradiction sur laquelle est fondée la classe ouvrière, c’est-à-dire la
« classe de l’abolition des classes », donc de sa propre abolition,
c’est-à-dire, l’abolition du travail. Nico, le 12/01/02
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