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la note de lecture sur Mots
à Maux
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La Couleur et le sang. Doctrines racistes à la française, par Pierre-André Taguieff, Les Petits Libres, 1998. Gobineau étant fréquemment considéré comme l'un des inspirateurs du nazisme, P.-A. Taguieff montre comment cette idée a été mise au point par les nazis eux-même, avant d'être reprise par les collaborationnistes. L'image d'un Gobineau, père du racisme français leur servait à montrer qu'il ne s'agissait nullement d'une doctrine étrangère. Inversant la perspective, P.-A. Taguieff amène à reconsidérer le rôle de Gobineau, en l'isolant de ses successeurs. Il insiste notamment sur son philosémitisme, ou en tout cas son absence de haine contre les Juifs, ce qui l'oppose à Le Bon et à Vacher de Lapouge, tout deux antisémites. On remarquera avec intérêt que cette réévaluation tacite de Gobineau n'est pas sans rapport avec volonté de réhabilitation de Gobineau menée dès les années 70 par la Nouvelle Droite. Or, Taguieff appuie une partie de son analyse sur les travaux de Jean Boissel. Évidemment, il est difficile d'éviter de citer cet auteur, spécialiste de Gobineau auquel il a consacré plusieurs ouvrages et de nombreux articles. Or ce Jean Boissel est lui-même un auteur issu de la Nouvelle Droite, qui se réfère à Alain de Benoist dès la première note de sa biographie de Gobineau. P.-A. Taguieff ne peut l'ignorer, puisqu'il cite même un article de Jean Boissel publié dans Nouvelle École, l'une des revues de la Nouvelle Droite. Étonnamment, P.-A. Taguieff ne mentionne nulle part cette tentative de réhabilitation, alors qu'il montre l'utilisation explicite de Le Bon par Jean-Marie Lepen, par exemple. A la lumière de cet oubli, le fil directeur de l'ouvrage se laisse apercevoir plus facilement. Il faut dire que P.-A. Taguieff postule que le pessimisme de Gobineau est " incompatible avec la formulation d'un quelconque projet politique" (p. 18). Ce qu'il oppose à "l'orientation pro-capitaliste et libérale-conservatrice" de Le Bon, tout autant qu'au "socialisme étatiste" de Vacher de Lapouge. Ce qui est conforme à l'idéologie de la Nouvelle Droite, qui se veut à la fois anti-socialiste, anti-capitaliste et anti-égalitariste et qui reprend à son compte la pensée aristocratique de Gobineau. Ce rapprochement est d'autant plus frappant que notre auteur se refuse absolument à prêter quelque héritage politique que ce soit. Remarquons également son affirmation - inexacte - sur l'inégalité des races, puisqu'elle est présente dans les discours du Front National et d'autres groupes d'extrême droite (Cf. les divers procès en cours contre les dirigeants des FN et FN/ MN). La thèse défendue par le chercheur au CNRS rappelle implicitement les idées défendues par la Nouvelle Droite. D'ailleurs une partie de ce mouvement préfère un travail de sape idéologique à l'action au sein du FN. Enfin, fidèle à son aversion pour l'antifacisme et l'antiracisme, P.-A. Taguieff écrit : "Après 1945, l'inversion d'une telle évaluation idéologique ne pouvait que se produire : l'antigobinisme s'est mécaniquement intégré dans l'antifascisme comme l'une de ses composantes culturelles. L'oeuvre de Gobineau est devenue une honte pour la France" (p. 58). Doit-on en conclure que pour Pierre-André Taguieff, l'oeuvre de Gobineau doit être un honneur pour la France ?
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