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Les Cents
fleurs à l’usine. Agitation
ouvrière et crise du
modèle soviétique en Chine, 1956-57. par François Gipoloux, éd.EHESS, 1986. 373 pp. « Les ouvriers de production travaillent comme
des forçats et subissent parfois des retenues sur leurs paies. Les
techniciens, eux, étudient et tiennent des réunions pendant leur temps de
travail. Non seulement ils touchent l’intégralité de leur salaire mais ils
sont même assurés de recevoir leurs primes. Je demande au directeur : à
qui appartient le Capital ? » Dazibao de Liu Giufa, tourneur à l’usine de chaudières de
Shanghaï. Francis Gipoloux traite ici du conflit surgissant dans les années
1950 entre la classe ouvrière et le Parti Communiste chinois au pouvoir.
Initié par la direction du Parti, le mouvement des « Cents fleurs »
a ouvert, quelques mois durant, un espace de discussion dans lequel les
ouvriers, largement minoritaires en Chine à l’époque, ont exprimé leur
opposition à l’industrialisation massive, aux cadences de travail inhumaines,
aux salaires dérisoires, au mépris dont les bureaucrates au pouvoir tenaient,
dans les usines, les problèmes d’hygiène et de sécurité. Bref, a été posé
très concrètement, dans les grèves, les meetings et les pétitions, le
problème de l’opposition ouvrière dans un pays socialiste, où le pouvoir est
supposé être son porte-parole. Il faut ici souligner la profonde compréhension de
l’auteur de la réalité des luttes ouvrières. À travers les discours
officiels, la presse chinoise et les « campagnes de
rectification », il devine la multiplication des grèves perlées, de
l’absentéisme massif, du turn-over,
du sabotage et du vol : toutes ces formes de luttes individuelles ou
souterraines que les travailleuses sont obligées d’adopter quand la lutte
franche et ouverte est rendue impossible par la mainmise du parti et du
syndicat sur tous les espaces de discussion et de contestation. Les conflits
internes aux usines, entre ouvriers et cadres, mais aussi entre maîtres
ouvriers et apprenties, sont analysés en détail. Il montre également comment, au sein même du Parti et de
la fédération des syndicats, naît durant les Cent fleurs un courant
syndicaliste de classe, mené dès 1951 par Gao Yuan. Ce courant refuse de
faire du syndicat une courroie de transmission du Parti et envisage
explicitement que le syndicat, organe de la classe ouvrière, puisse entrer en
conflit avec le Parti et l’Etat pour la défense des travailleurs. Gao Yuan et
ses amis seront dénoncés comme « droitiers » et écartés du syndicat
et du Parti en 1957. Par ailleurs, il démontre comment le Parti emploie les
campagnes de propagande en direction des ouvriers pour canaliser leur énergie
et leur recherche d’une vie meilleure en vantant les mérites d’une
industrialisation toujours plus massive, c’est-à-dire, en définitive contre
leur propre intérêt de survie. La presse communiste dénonce inlassablement
comme droitiers, réactionnaires et (petits) bourgeois les ouvriers qui
refusent de se plier à la discipline d’usine, d’accepter d’être sacrifiés
individuellement à la chimère de la productivité garante du bonheur
collectif. C’est donc une lecture utile, non seulement pour
connaître et comprendre l’activité autonome des travailleuses et des
travailleurs dans la révolution chinoise, mais aussi pour réfléchir sur les
dangers qui menacent toute perspective révolutionnaire, sur la nécessité de
rester sur le terrain de la lutte de classe sans jamais se placer dans une
perspective « gestionnaire » ou « productiviste », même
aux noms des « conditions objectives » et de la « victoire de
la révolution ». Le capitalisme n’est pas fondé sur l’existence de la
bourgeoisie, mais sur celle du travail : on ne peut abolir l’une sans
l’autre. C’est ce que nous rappellent les luttes des ouvrières contre le
travail, en Chine, en Espagne ou ailleurs, chaque fois qu’on a prétendu
gouverner en leurs noms. « Que ceux qui ne sont pas satisfaits par ce type
de société s’organisent courageusement et constituent une force qui lutte
contre le gouvernement… Le socialisme est la restauration de la société
esclavagiste… La vie des masses est pire que celle des bêtes. » tract de Qian Guojian et de ses camarades de
l’usine de construction mécanique Yudachang à Shanghaï. Qian est arrêté le 11 juillet 1957, motif :
« anarchiste et irresponsable ». Nicolas (19/10/01) |