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Travailler, moi ? Jamais ! La nécessaire critique du travail Bob Black, théoricien américain de l'abolition du travail, a parfaitement raison de dénoncer, dans son pamphlet, le culte du travail développé par certains marxistes. L'ouvriérisme, état d'esprit représenté dans l'ensemble du mouvement révolutionnaire (je n'ose pas dire : mouvement ouvrier !) est typique de cette déviation. Même si aujourd'hui, chaque courant de pensée, chaque groupe politique de gauche possède, dans son arsenal théorique, un chapitre consacré à la réduction du temps de travail, la pratique politique se réduit souvent à une prise de position sur les 35 h, contre les méfaits (réels) de la loi Aubry. Or, le débat sur les 35 h révèle une réelle envie de moins travailler, tout simplement. Le cas le plus symptomatique est celui de la revendication croissante chez les cadres, qui découvrent soudain qu'ils ne font ni 35, ni même 39 h, mais plutôt 50, 60 heures de travail par semaine et revendiquent désormais, timidement, mais de manière croissante, le droit à un rythme de travail plus raisonnable. Très faiblement syndiqués, abreuvés d'idéologie patronale, ils commencent seulement à prendre conscience qu'ils sont, eux aussi, des travailleurs abusivement exploités. De manière générale, la faiblesse de la mobilisation contre la loi Aubry s'explique largement par la trahison syndicale, mais aussi par une adhésion tacite au principe général : moins travailler en sacrifiant des acquis sociaux. La subtilité et la complexité du débat, le jeu des bureaucraties syndicales n'ont pas permis d'aller plus loin dans le débat. Dans ces conditions, la critique du travail devient, non seulement une ligne de rupture entre les révolutionnaires et les réformistes, mais aussi un thème porteur pour la diffusion de la critique sociale. Il est possible aujourd'hui de se battre pour une réduction toujours plus importante du temps de travail. Cette critique radicale doit être mise en avant systématiquement, sans aucune crainte d'être taxés d'utopistes. Pour commencer, elle doit s'appuyer sur une argumentation solide, la plus solide et la plus imparable possible Pour Bob Black, Socrate, via ses disciples Platon et Xénophon, serait un talentueux critique du travail. Lorque l'on sait que celui-ci défendait l'esclavage, on peut estimer que l'argument est faible. De même, l'auteur se base sur le célèbre Âge de pierre, âge d'abondance de Marshall Sahlins pour montrer que les humains peuvent se passer du travail intensif, mais il oublie de préciser que les sociétés étudiées par cet ethnologue devaient leur bonheur oisif à un environnement particulièrement favorable. La nécessaire rapidité du pamphlétaire butte sur les écueils de l'imprécision. Bob Black dénonce avec justesse la multiplication des métiers inutiles et la profusion bureaucratique, mais sa présentation des moyens d'éliminer ces tâches inutiles pour se concentrer sur les 5% de tâches réellement indispensables (qu'il limite à l'alimentation, aux vêtements et à l'habitation...) est trop lapidaire pour être réellement convaincante. En deux pages, il abolit l'industrie d'armement, l'automobile, l'école et la famille. C'est bien, mais c'est un peu court. En outre, son extrême méfiance envers la technologie, proche en cela du courant néoluddite, lui fait repousser les possibilités de la cybernétique. Il est exact que la mécanisation, puis l'automatisation n'ont pas réellement permis la réduction du temps de travail (et l'ont même souvent accrue), parce qu'elles ont été mises au service de l'idéologie productiviste. Ce pamphlet est donc intéressant pour les convaincus, mais pas vraiment efficace pour convaincre, parce qu'il ne répond pas à la question : comment va-t-on vivre sans travailler, c'est-à-dire sans produire ? qui est la première qui vient à l'esprit de tous ceux qui ont été éduqués dans le productivisme. La question mérite d'être traitée de manière plus approfondie, même dans un ouvrage de propagande comme celui-là. C'est le meilleur moment pour le faire.
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